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dimanche 23 février 2014

Six questions sur l'après-Ianoukovitch en Ukraine

A l'issue d'un week-end où les rebondissements se sont multipliés en Ukraine (fuite du président, puis destitution par le Parlement, nomination d'un nouveau chef de l'Etat par intérim, libération de l'opposante historique Ioulia Timochenko...), de nombreuses questions se posent pour l'avenir de ce pays de 46 millions d'habitants aux portes de l'Europe.



Après le vote de destitution du président Viktor Ianoukovitch par les députés, samedi 22 février, la présidence par intérim a été attribuée à Oleksandr Tourtchinov, le président du Parlement, comme le prévoit la Constitution en cas de vacance du pouvoir. Oleksandr Tourtchinov est un proche de Ioulia Timochenko, libérée samedi après deux ans d'incarcération et qui pourrait jouer un rôle de premier plan dans les prochains mois. Un gouvernement “d'union nationale” doit être nommé d'ici mardi, avant des élections générales fixées au 25 mai.

Mais la légitimité des dernières décisions votées par le Parlement est encore à prouver. En effet, la Rada a voté vendredi soir le retour à la Constitution de 2004 - qui accordait plus de pouvoir au Parlement -, mais pour que celui-ci soit effectif, le président Viktor Ianoukovitch aurait dû signer ce changement constitutionnel, ce qu'il n'a pas fait. Samedi, lors d'une allocution vidéo, Viktor Ianoukovitch a déclaré que le Parlement agissait en toute illégalité, dénonçant le « vandalisme » et le « banditisme » des auteurs d'un « coup d'Etat ».
« Il n'y a pas de coup d'Etat à Kiev. Les bâtiments officiels ont été abandonnés. Le président du Parlement a été légitimement élu », lui a répondu sur Twitter le ministre des affaires étrangères polonais Radoslaw Sikorski, qui a participé cette semaine aux négociations entre opposition et pouvoir.

  • Où est passé Viktor Ianoukovitch et peut-il faire son retour ?
Invisible depuis plus de 24 heures, le président déchu n'a plus aucun contrôle sur la situation en Ukraine. Son porte-parole lui-même déclare ne pas savoir où il se trouve. Seule certitude : il a fui Kiev. Une de ses collaboratrices a expliqué samedi qu'il se trouvait à Kharkiv, puis le nouveau président du Parlement, Oleksandr Tourtchinov, l'a situé à Donetsk, d'où il aurait tenté de fuir en Russie à bord d'un avion avant que des gardes-frontières ne l'en empêchent. Ces derniers ont même accusé M. Ianoukovitch d'avoir tenté de les corrompre pour qu'ils laissent son avion décoller sans autorisation.
Sur le plan politique, Viktor Ianoukovitch apparaît bien isolé. Lâché par son parti, qui l'accuse dimanche d'être « responsable des événements tragiques » en Ukraine, mais aussi par les responsables de la police et l'état-major de l'armée, ainsi que par Moscou, Ianoukovitch n'a plus de soutiens et son retour semble improbable. « Ianoukovitch appartient à l'histoire », a déclaré dimanche le maire de Kharkiv, Guennadi Kernes, pourtant réputé proche du président déchu. En accusant nommément Viktor Ianoukovitch et lui-seul, dans la crise qui secoue le pays, les cadres du Parti des régions espèrent pouvoir se remettre en course en vue de probables élections anticipées le 25 mai.
 L'Est peut-il faire sécession ?

Les affrontements entre pro- et anti-Maïdan dans plusieurs villes de l'Est, notamment à Kharkiv et à Sinferopol, en Crimée, montrent que le pays est plus que jamais divisé : dans l'ouest ukrainophone, les habitants soutiennent majoritairement la révolution, comme l'atteste la prise de bâtiments publics dans les grandes villes, tandis qu'à l'est, la contestation contre Viktor Ianoukovitch s'est faite très discrète.
Si personne à Kiev ne parle ouvertement de partition, et que ni la Russie, ni les Etats-Unis ni l'Europe ne souhaitent voir ce pays de 46 millions d'habitants se diviser, la question est dans tous les esprits. En Crimée, où se situe la base navale russe de Sébastopol et où vivent de nombreux binationaux russes et ukrainiens, des milices se sont formées ce week-end pour demander la sécession de la région. A Kharkiv, des élus locaux proches ont remis en cause la légitimité des décisions votées à la Rada, qui agit, selon eux, « sous la menace des armes ». « L'intégrité territoriale et la sécurité de l'Ukraine se trouvent menacées », ont-ils estimé.
  • Qu'attendre de la libération de Ioulia Timochenko ?
La libération surprise et éclair de Ioulia Timochenko bouleverse la donne politique dans le pays. Emprisonnée depuis deux ans pour la signature d'un accord gazier jugé défavorable à l'Ukraine, l'ex-égérie de la « révolution orange » s'est montrée, depuis sa cellule, l'une des opposantes les plus déterminées au président Viktor Ianoukovitch. Alors que les chefs des trois partis d'opposition peinaient à contrôler les manifestants les plus radicaux, Ioulia Timochenko a diffusé plusieurs communiqués ces derniers mois expliquant que si elle était libre, c'est sur les barricades qu'elle mènerait l'opposition. Samedi soir, de retour à Kiev, l'ancienne première ministre a suscité le respect de la foule de Maïdan, mais aussi la méfiance, car ses années au pouvoir n'ont pas laissé de bons souvenirs aux Ukrainiens : paralysie politique et crise économique lui sont notamment attribués. Pour beaucoup, Ioulia Timochenko est une figure du passé, symbole de l'establishment politique.
Certains voudraient toutefois voir en elle une figure charismatique, capable de rassembler l'Ukraine et de parler d'une voix forte. Berlin a déjà fait savoir que la chancelière allemande Angela Merkel la rencontrerait bientôt, en faisant une interlocutrice de premier plan. Ioulia Timochenko a toutefois démenti, dimanche, être candidate au poste de premier ministre du gouvernement transitoire qui doit être formé dans les prochains jours. Elle ne s'est pas non plus ouvertement déclarée candidate à la présidentielle qui pourrait se tenir le 25 mai. Mais en habile politicienne, Ioulia Timochenko sait se faire attendre pour soigner son retour.

Plusieurs signes semblent indiquer que la Russie pourrait soutenir un retour au pouvoir de Ioulia Timochenko. Dimanche, un député de la Douma, Leonid Slutski, a déclaré que sa nomination au poste de premier ministre pourrait être « un facteur de stabilisation en Ukraine ». Moscou ne porte pas Viktor Ianoukovitch dans son estime, bien qu'elle l'ait soutenu en 2004 pendant la « révolution orange ». Aujourd'hui, la Russie juge le président déchu trop faible et le rend responsable du pourrissement de la situation à Kiev, au même titre que les trois leaders d'opposition : Vitali Klitschko, Arseni Iatseniouk et Oleg Tiagnibok. Vendredi, au lendemain d'une journée sanglante à Kiev, le premier ministre russe Dmitri Medvedev avait dénoncé un pouvoir « sur lequel on s'essuie les pieds ». Ioulia Timochenko, native de Dniepropetrovsk, dans l'est russophone, est en revanche une interlocutrice respectée par Moscou, et particulièrement par Vladimir Poutine, qui avait proposé, quand elle était incarcérée, qu'elle soit soignée en Russie.
Le gouvernement d'union nationale, qui doit être formé d'ici mardi, devra forcément composer avec la Russie, principal partenaire commercial de l'Ukraine et en particulier des régions de l'est du pays. C'est d'ailleurs sur le volet économique que Moscou exerce l'influence la plus forte sur l'Ukraine. Fin décembre, après le volte-face du pouvoir au sujet d'un rapprochement avec l'UE, la Russie avait promis de prêter 15 milliards de dollars (près de 11 milliards d'euros) à l'Ukraine et de réduire le prix du gaz naturel qu'elle lui vend. Mais seule une tranche de 3 milliards de dollars a été versée (2 milliards d'euros), le reste de l'aide étant suspendu par le Kremlin, tandis que les rabais sur les prix du gaz sont prévus pour être révisés tous les trois mois.

 Le rapprochement avec l'Europe pourrait-il revenir dans l'agenda ?

A l'issue d'une terrible semaine au cours de laquelle près de 80 Ukrainiens ont trouvé la mort avant que Viktor Ianoukovitch soit chassé du pouvoir, l'UE ne peut plus feindre l'indifférence quant au sort de l'Ukraine. Après avoir dépêché trois ministres des affaires étrangères (français, allemand et polonais) à Kiev, jeudi et vendredi, pour tenter d'accélérer les négociations entre pouvoir et opposition, les pays européens doivent désormais prendre acte du week-end historique et décisif qu'a vécu l'Ukraine. Plusieurs hauts responsables européens ont appelé à remettre l'accord commercial d'association à l'ordre du jour : le commissaire européen au commerce, Karel De Gucht s'est notamment montré optimiste en déclarant dimanche « je crois que oui, ils [les Ukrainiens] vont signer cet accord ». La Lituanie, pays balte qui s'était activement mobilisée en faveur d'un accord d'association, a elle aussi salué dimanche « le changement démocratique en cours » et espéré une signature rapide d'un accord d'association, permettant notamment de mettre en place une zone de libre-échange.

Mais les Etats membres de l'UE sont encore divisés quant aux perspectives à offrir à l'Ukraine, pour l'instant bien maigres. Le principe d'une adhésion est pour l'instant exclu, et l'Europe en crise économique ne peut garantir une aide financière solide à l'Ukraine. Surtout, l'UE se montre prudente, dans l'attente du retour d'un pouvoir fort et légitime à Kiev. La présence, parmi les manifestants, de nombreux militants d'extrême-droite, peu intéressés par Bruxelles, et la grande hétérogénéité de l'opposition incitent les diplomates européens à la méfiance. Le commissaire européen aux affaires économiques et financières, Olli Rehn, a toutefois expliqué dimanche que l'Europe « devait être à la hauteur du défi de ce moment historique ». Selon M. Rehn, Bruxelles est prête à s'engager « dans une importante assistance financière à l'Ukraine une fois qu'une solution politique fondée sur des principes démocratiques aurait abouti ».

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