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mercredi 12 janvier 2011

Autan de Vic Taurugaux



Il n'avait jamais dit à personne ce qu'il avait vu ce soir-là, devant le moulin...
…autant, vous ne l’auriez pas entendu. Le brouhaha qui régnait à l’époque chez nous, étouffait toute tentative de discussion aussi bien que cette poussière de farine qui, se déposant partout à l’intérieur du bâtiment, nous asphyxiait littéralement, mon frère et moi. Nous en sortions le soir, pour enfin respirer, mais totalement blanchis de la tête aux pieds. Bien après encore s’être débarbouillés sur la margelle de la citerne, on se raclait la gorge pour extirper dans de grands mouchoirs à carreaux, cette substance qui nous envahissait et qui était depuis des générations notre unique gagne-pain. Au dîner, mon père nous versait de généreuses rasades de sa piquette : « pour mieux nous laver le gosier. » Nous taisions pourtant notre reconnaissance à celui qui, à la mort de Grand-Père, avait courageusement repris la barre de ce fier et antique vaisseau de bois et de toiles qui agitait depuis toujours ses ailes au sommet du village.


…Il n'avait jamais dit à personne ce qu'il avait vu ce soir-là...
D’ailleurs, à part ses sempiternelles quintes de toux, mon frère ne me disait rien. Il venait d’avoir dix-huit ans et moi, je quittais à peine l’âge de raison. Comme il était intelligent, il imaginait quantités de choses que je ne connaissais pas et comme il était fort, Papa l’avait chargé de l’approvisionnement. Il montait par l’échelle les écrasants sacs de céréales dont il versait le précieux contenu dans la trémie . De là-haut, sans me regarder, d’un geste de la main, il me commandait l’enclenchement du mécanisme qui transmettait le mouvement de l’arbre à la pierre volante . Les meules crissaient alors l’une sur l’autre et l’on sentait aux vibrations de son squelette, l’effort de notre valeureux moulin. Les craquements du bois, le pleur ininterrompu de la roche, le chuintement des ailes dans l’air, tout cela me pénétrait le corps bien plus affectueusement que le plus doux mot susurré à l’oreille.

…Il n'avait jamais dit à personne ce qu'il avait vu...
Par ailleurs, on ne l’aurait pas écouté. Depuis l’avènement des modernes minoteries hydrauliques, en bas, dans la plaine, la grande majorité des producteurs de froment s’était détournée de nous. On ne badinait plus avec la « productivité ». Eux, ne s’exprimaient qu’en « quintaux-hectares, cylindres hélicoïdaux, bluteries intégrées ». Nous n’étions plus, avec nos ailes, que les galériens d’une farine d’autrefois, les forçats du vent et chacun nous abandonnait, chaque jour un peu plus, à nos antiques chimères. Entre eux, ils discutaient de « machines à vapeur » et les plus prétentieux de ces messieurs prophétisaient qu’un jour on livrerait la farine jusqu’à Carcassonne au moyen d’un cheval de fer ! Prudemment, de ceux-là, notre père nous instruisait que ce n’était que doux rêveurs !

…Il n'avait jamais dit à personne …
Pour autant, les filles, elles mêmes, se moquaient de lui. J’anticipais, tôt le matin, leurs rires portés par la brise, quand elles nous montaient du bas de Caragoudes, sur le dos de leurs petits ânes, le grain que leur maisonnée daignait malgré tout, nous donner à moudre une fois par mois. Désespérément mutique, il déchargeait les bâts et pesait méticuleusement devant chacune d’elles, leurs bissacs gorgés d’orge ou de sarrazin. Le reste de la journée, elles profitaient de leur escapade cautionné par notre harassant travail, pour s’amuser entre elles à colin-maillard dans la grange de notre meunerie. Quand, au détour de leurs cachettes, elles croisaient le regard de mon aîné, elles éclataient en immenses fous rires comme une volée de moineaux que vous chasseriez du grenier. Mais nous, nous ne nous laissions pas distraire, trop consciencieux de la qualité de notre farine et aussi, trop inquiets d’effaroucher cette compagnie que l’on voyait disparaître à regrets, le soir venu, par l’étroit sentier. Sans rien nous en dire, nous repliions alors les voiles de nos ailes et, chacun gardait pour ses rêves, le son cristallin des quolibets.

Le vent séchait au soleil les immenses étendues de blé du Lauragais. Dans leur mitan, au delà de Villefranche, le canal y paressait à l’ombre de ses deux rives de platanes. Parfois, quand notre voisin voulait bien nous prêter sa mule, nous y descendions avec mon père pour confier à la barque de la poste, de lourds sacs de farine destinés aux boulangers de Castelnaudary. On arrivait à l’écluse du Négra un peu avant midi, juste avant que le bateau y accoste pour sa première dînée . Celui-ci remontait de Toulouse. Depuis tôt le matin, il avait enjambé son quota d’écluses et, suant, ses puissants chevaux de trait espéraient enfin pouvoir se reposer. Les mariniers les y désenchevêtraient de leurs savants harnachements pour que ces lourds destriers condescendent à partager la pâture de notre piteuse rossinante. Nous aidions notre père à transborder notre modeste cargaison dans le ventre de la luxueuse embarcation puis, tout en partageant avec eux notre repas, nous profitions de la conversation des « hommes » qui nous enseignaient ainsi des bruits de la ville. Vers trois heures de l’après-midi, le canal, reprenant ses droits, nous laissait à quai, riches de quelques sous et d’incroyables histoires que jamais, dans notre moulin, nous eussions imaginées. Légers, nous remontions alors vers notre « motte », sûrs que notre père y ensemencerait, auprès de nos paysannes, cette science que nous avions, tous trois, miraculeusement glanée.


De sorte que de tous temps, quoi qu’on en dise, notre moulin ne brassait-il pas que du vent.
Ce jour-là et puisqu’il n’y avait pas un souffle, mon frère, au prix d’un colossal effort, avait sorti notre volumineuse pierre meulière afin qu’avec Papa, ils rhabillent sa face inférieure devenue trop lisse à force de frottements. J’entendais à l’extérieur le régulier piquetage de leurs bouchardes qui décrochant habilement les éclats de roche, leur tenait lieu d’unique conciliabule. Déclaré trop chétif pour y participer, comme toujours, je dus rester à l’intérieur afin d’inspecter et de graisser le « rouet et la lanterne », mécanisme en bois de chêne, qui par simple renvoi d’angle, transformait la rotation verticale de nos ailes en rotation horizontale nécessaire au travail de notre meule. Par précaution, je remplaçai trois alluchons qui n’avaient plus bonne mine, pour être certain que la grande roue accrochât de toutes ses dents dans la plus petite. Il ne servait à rien en effet que notre moulin s’essoufflât à tourner sa lourde pierre avec des engrenages qui, usés, ne transmettraient plus la force du vent. Je rebouchai également, au moyen d’une mixture faite de suif, de farine brûlée et de poudre de roche, l’oeillard, orifice central de la pierre gisante, si preste à nous voler le grain.

C’est alors que, pour tromper l’ennui et ne pas chômer davantage durant le fastidieux travail de mes aînés, mais tout de même par loisir, je m’entrepris dans la sculpture d’un cavalet. En effet, sans rien en dire, j’avais pensé utile, grâce à cette invention, d’enseigner aux graines le bon canal et ce dès l’auget . Combien, en effet, tombaient à mes pieds qui ne passaient par le délicat circuit du meulage ? Elles cherchaient sans doute à échapper à leur glorieux destin, en fuyant la pierre qui pourtant ne tournait là que pour les sublimer en farine. Mon frère avait beau déverser avec parcimonie la quantité idéale que pouvait capter notre machine, il pleuvait sur moi, à l’étage inférieur, quantités de ces fugueuses que je devais sans cesse ramasser et remonter à la main.
Mon cheval de tête, tout en les rassurant leur montrerait fermement la voie. Il posséderait l’arrogance d’un étalon, il les impressionnerait, les obligeant à filer doux. La lame de mon couteau entailla ainsi vigoureusement ce bois de merisier dont la rougeur allait pouvoir teinter à merveille la robe du fier alezan. En l’espace d’un instant, son esprit caracola entre mes mains comme s’il cherchait à rassembler son troupeau. Puisqu’il se voulait ailé, je l’appellerai Pégase.

Depuis que notre mère nous avait quittés, je m’étais réfugié dans le giron de notre moulin. Bien que son pénible service m’y avait éreinté mon enfance, plutôt qu’un cachot, il était devenu pour moi le donjon de mes rêveries. Celles-ci s’y déployaient librement dans le silence qui m’emprisonnait. Tant qu’à moudre le grain, j’échafaudais ma propre vision du monde. Aussi, était-ce sans doute ma prochaine adolescence qui fit qu’à mon tour, je me sentis pousser des ailes. Le vent portait chez nous quantités d’oiseaux de passage et en bas, sans cesse, le canal nous faisait miroiter ses humeurs vagabondes. Je me devais de les relier comme j’associais par engrenage le vol des nuages à l’alimentation des gens. Nos ailes captaient les caprices des dieux et nous, grâce à leurs facéties, nous pouvions nourrir les mortels. J’entrevis que si le vent portait au loin les rires et les dires, pourquoi, comme un cheval, ne porterait-il pas les gens ? Cet après-midi que notre moulin se trouvait délesté de sa pierre, il n’aurait fallu qu’une bourrasque pour le faire décoller. Alors il serait suffisamment fort par le truchement de son « hélice » pour voyager au loin pour peu que mon grand frère, en manœuvrant la queue du moulin , en indiquât la bonne direction. Partir là-bas ! Au delà de Castelnaudary ! Vers des contrées que seuls les bateliers explorent ! On survolerait les lacs du Lauragais et dans nos songes les plus fous, on atteindrait bientôt le sommet de la montagne noire. Si la tramontane nous y aidait, on glisserait vers la mer, et, si mon frère le souhaitait, on sauterait carrément la muraille des Pyrénées ! Au-delà : y bâtir des châteaux et pourquoi pas, aller jusqu’en Chine ! Bien sûr, je le laisserais piloter car c’est lui mon aîné. On redescendrait en planant du côté de Blagnac et les gens de Toulouse, ébahis et jaloux, nous regarderaient passer.

Ce soir-là, je décidai de tout lui raconter. Mais lui, pour ne pas m’écraser, me bouscula d’un coup d’épaule dans la réserve à son, tout en réencastrant comme de rien l’énorme pierre volante dans « l’anille ». Son clin d’œil goguenard m’enseigna qu’il m’avait déjà deviné. J’en compris qu’à mon tour, je devrais encore rester muet, ne rien dévoiler à personne de ce que j’avais su ce jour-là depuis l’intérieur de notre moulin. Exténué par ses efforts surhumains et ses quintes de toux, il partit aussitôt se coucher me laissant seul le soin de remonter l’archure . Je venais juste de terminer l’assemblage de cette boîte en bois de peuplier quand l’affolement de la flamme de ma lampe-tempête m’annonça le retour du vent. Je sortis dans la nuit vérifier le bon arrimage des voiles et décrochai le cabestan pour que le moulin puisse librement se mettre en girouette . Il ne s’agissait pas à présent que tous dormaient, que celui-ci se réveillât. Je décidai de veiller à l’extérieur. L’écoulement débonnaire du vent sur la colline nous berça paternellement, la machine et moi, dans l’attente d’un nouveau lendemain de labeur commun.

Ce fut grâce à cette somnolence, je crois, que je pus rejoindre la vision de mon frère. Lui qui était souvent dehors, rêvait toujours plus loin que moi. Et voilà qu’à mon tour, je percevais dans l’atmosphère comme un indéfinissable vrombissement, comme si un immense essaim d’abeilles sauvages était venu se loger dans notre charpente. Mais, au lieu de venir du toit, cette ruche nous entourait, mon vieux moulin et moi, malgré le chant du vent. Je tournai alors mes yeux vers l’horizon et découvris, émerveillé, se détachant sur le futur d’un ciel étoilé, les gigantesques silhouettes d’une armée d’éoliennes qui avaient conquis tous les sommets environnants.

D’ici ou d’ailleurs, je sais bien que jamais personne ne nous croira. Mais est-ce vraiment une raison, ce soir, pour ne pas que, moi, je vous le dise… pour autant !



Lexique du moulin :
Trémie : pyramide renversée et tronquée située au-dessus des meules et dans laquelle on verse le grain.
Pierre volante : (ou vivante) meule supérieure qui tourne sur la meule inférieure fixe appelée pierre dormante ou gisante.
Cylindres : Inventés en Hongrie, les cylindres de fonte vont à partir de 1875, remplacer dans toute l’Europe les meules de pierre. Ils offrent l’avantage de séparer l’amande du grain de son enveloppe sans l’écraser brutalement.
Bluterie : le blutage est l’opération consistant à séparer la farine des « issues »(mélange d’enveloppes et d’amandes mal séparées). Il faut attendre le XVIIIème siècle pour que le blutoir qui se trouvait jusqu’alors chez le boulanger devienne un outil du meunier !
Dînée : la barque de la poste était un service postal autant que de transport de passagers. Il fut établi dès l’origine du canal du Midi entre Toulouse et Adge. Le parcours durait quatre jours. Les étapes étaient immuables : les dînées : (arrêt pour le repas du midi) et les couchées (arrêt pour le repas du soir et de la nuit). L’écluse du Négra était la première dînée en partant de Toulouse.
Motte : Tout comme le château médiéval, le moulin à vent était construit sur une motte : colline artificielle ou naturelle. Mais, il ne s’agissait pas ici d’un calcul stratégique face aux assaillants, on cherchait par cet emplacement à capturer au mieux le vent.


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