----En catimini, François regagna sa place près de Dayan et le tint au courant de cet élément. Dayan lui chuchota de se tenir prêt à toute éventualité, il devait contacter le Commissaire Djibflouz pour lui rendre compte, et ce, sans trop attirer l’attention sur lui. Prévoyants ils avaient convenu de se biper en cas de besoin. Dayan actionna son appareil, Djibflouz lui fit signe de le rejoindre derrière l’estrade. Mohammed se leva, fit semblant de se dégourdir les jambes quelques instants et s’achemina vers son collègue.
Il allait atteindre le pied de l’estrade lorsque tout bascula.
François vit que dans le coin de la buvette un groupe de quatre ou cinq personnes tenait en respect les autres serveurs. Ils étaient armés de pistolets mitrailleurs Uzi à crosse pliante, 9 mm parabellum, et bien sur de la célèbre Kalachnikov AK74M à crosse repliable, sur le côté gauche , dont toutes les guérillas de par leur monde sont équipées, vu leur faible coût et leur extrême fiabilité..
Sur les hauteurs des remparts les hommes de Djibflouz s’étaient mis en position, tandis que la sécurité au sol essayait de canaliser les spectateurs en leur demandant de s’allonger sur les graviers. François comprit que le Boucher n’était pas venu seul et que le fait de découvrir un de ses complices était à l’origine d’une action que le terroriste ne devait pas contrôler, ses hommes avaient agi d’instinct.
Et effectivement quelques secondes plus tard, alors que la confusion régnait de partout, que les hommes des remparts tiraient des rafales en l’air…
Avez-vous connu la peur.. ? La vraie peur : celle que l’on peut ressentir lorsque sa vie est en jeu, celle où on devient flasque, vidé de sa matière comme à en devenir aussi peu consistant qu’une feuille de papier, celle où votre cerveau ne réagit plus, où vous avez l’impression que votre cœur ne bat plus et que vous êtes glacé, une chiffe molle en quelque sorte. Où aucune idée ne vous vient à l’esprit hormis la certitude que c’est la fin du parcours. Et bien François en était là comme dans un métro avant le terminus, il savait que c’était la fin, que tout allait s’embraser dans ce parterre de forteresse où la seule sortie possible passait par le groupe de guérilleros de l’entrée.
C’est alors qu’il remarqua un vieillard qu’il avait déjà entrevu sans y prêter trop d’attention, se redresser et déployer ses épaules. L’homme portait une longue barbe blanche, coiffé d’un canotier il était vêtu d’un costume gris fatigué. Ses mouvements étaient vifs, il jeta un regard circulaire à l’assistance et se dirigea vers la sortie, négligeant les recommandations du service d’ordre qui n’assurait plus que le désordre. François compris qu’il avait affaire au Boucher, pas le temps de prévenir Dayan ou le Commissaire bondissant, qui s’acharnait à faire cesser les tirs de ses hommes.
C’est souvent lorsque l’on se trouve au bout du bout du rouleau qu’une petite étincelle de courage vient à votre secours. C’est ce qu’il arriva à François, il avait maintenant un but, suivre le Boucher, se sortir du guêpier. L’homme avançait vivement, il le suivit, derrière lui les policiers hurlaient en lui demandant de se coucher ce qui provoqua une fusillade nourrie entre les serveurs et les gardes du corps. Le Boucher en profita pour passer la porte, suivi par François qui avait miraculeusement échappé aux rafales…
Passée l’entrée, le Ribat donne sur une grande place où deux fois par semaine un immense marché dresse ses étalages colorés pour les ménagères de la ville. Le Boucher se hâta, bien décidé à traverser ce marché pour rejoindre le dédale des ruelles de la Médina. François le suivit, se repérant au canotier que l’homme avait conservé. Se frayer un chemin à travers une foule bruyante ignorante des incidents du Ribat, des étals regorgeant de victuailles amoncelées en désordre ne fut pas chose aisée. Mais ils parvinrent à hauteur des ruelles étroites et sombres sans que François ne le perde.
Ils s’engagèrent alors dans un fatras de ruelles exigües et sales malgré le blanc des murs. Il y faisait plus frais que sur la Place du Ribat. Le Boucher avançait rapidement, mais heureusement sans se retourner, ce qui facilita la tâche de François. L’homme ne pouvait imaginer être suivi vu la rapidité des évènements qui venaient de s’enchainer, aussi arpentait il les lieux avec l’aisance d’un habitué.
Au bout de quelques minutes ils arrivèrent sur une placette remplie de chaudrons gigantesques ainsi que de petits bassins creusés dans le sol, séparés de petits murets. Sur les murs des écheveaux de laine aux multiples couleurs séchaient au soleil, c’était une profusion de rouges, de jaunes, d’indigo et de roses. Entre les bassins des dizaines d’hommes plongeaient leurs bras dans des liquides douteux pour teindre la laine, certains jambes nues, pantalons retroussés au niveau des cuisses foulaient la matière en dégoulinant de sueur, et tout ceci dans une odeur âcre et nauséabonde de sang séché, d’urine et autres senteurs indéfinissables, qui vous prenait aux narines de façon entêtante.
Chapitre VI
Nœud gordien à El Jem.
François vit le Boucher s’engouffrer dans le couloir d’une maison donnant sur la place. La maison était facilement identifiable par le dessin d’un œil peint en bleu, sujet berbère courant dans le sud tunisien et destiné à détourner le mauvais œil. Il attendit un peu, puis entrebailla la porte pour voir que ce couloir menait aux étage, il n’y avait pas d’autre porte en rez de chaussée, c’était donc un repaire.
Pas question de quitter les lieux au risque de permettre la fuite du Boucher, il fallait planquer sur la maison en attendant du renfort, et ce dans les odeurs pestilentielles du souk des teinturiers.
Il appela Dayan avec son portable, espérant qu’il avait rechapé à la fusillade. En l’entendant il s’étonna d’être soulagé qu’il fut en vie. Il lui expliqua où il se trouvait demandant un renfort discret. Dix minutes plus tard Mohammed était là avec Djibflouz et quelques hommes. Il leur situa le refuge, et Dayan l’informa que huit personnes étaient décédées dans la fusillade, dont les cinq complices du Boucher, trois spectateurs avaient été les victimes collatérales de ce drame.
Dayan lui-même avait été légèrement éraflé par une balle à l’épaule. Djibflouz préconisa de mettre la maison sous surveillance et d’attendre la nuit pour intervenir, il y avait trop de monde sur la place cette heure. Le Commissaire se chargea du dispositif. François suggéra à Dayan de planquer sur les toits en terrasses, ils pourraient ainsi dominer le dédale des ruelles.
Son instinct lui disait que si le Boucher tentait une sortie il la ferait par les hauteurs. Le crépuscule se rapprocha, les cris de la place s’estompèrent et les artisans peu à peu la désertèrent. Encore une heure et ce fut une de ces belles nuits étoilées d’orient, d’un noir d’encre, sans un nuage, aux étoiles scintillantes par milliards et à la lune moqueuse détachée des contingences de ce monde.
Tous étaient fatigués mais il fallait veiller l’intervention était proche. François commençait à cligner des yeux, il était près de minuit, lorsque quelque chose bougea sur une terrasse de l’autre côté de la ruelle, celle à côté de la maison en surveillance. Il tapota l’épaule de Dayan, mais il vit que celui-ci était en alerte.
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