Deux jeunes souriants expliquent dans
une annonce télévisée les avantages du Recensement de la Population et
des Logements 2012. Ils parlent de la nécessité de tenir des
statistiques actualisées et fiables sur notre société. A la fin du court
spot ils disent en chœur une phrase qui certifie que « du 15 au 21
septembre à Cuba, nous comptons tous ». Laquelle conduit invariablement
le spectateur à se dire que ce n’est pas la même chose qu’ils nous
comptent et qu’ils comptent sur nous. Mais au-delà des évidents « actes
manqués » du langage officiel, notre préoccupation est d’une autre
nature. Les cubains ne font pas confiance aux inspections ; nous avons
une suspicion très marquée envers les comptages et les vérifications à
l’intérieur de nos logements. Notre existence est divisée entre une zone
légale et publique et une autre truffée d’illégalités pour assurer
notre survie. C’est la raison principale pour laquelle nous
n’accueillons pas toujours favorablement les sondages.
Dans un autre contexte, un recensement
ne devrait pas nous préoccuper mais plutôt nous réjouir. Car il s’agit
d’un outil statistique qui fournit à la communauté des données sur
elle-même. Nombre de logements, nombre d’habitants de chacun des deux
sexes, taux de croissance de la population… et beaucoup d’autres
chiffres révélateurs des succès et des déficiences d’une nation.
Pourtant dans le cas de notre pays, il est très difficile de séparer un
simple inventaire du contrôle étatique que celui-ci génère
conséquemment. Difficile de cloisonner une enquête –aussi innocente et
anonyme qu’elle paraisse- de sa contrepartie la plus redoutée : la
surveillance. Particulièrement en relation avec tous les objets et
recours de « provenance douteuse » qui soutiennent notre quotidien.
C’est pourquoi une grande majorité des cubains finiront par mentir aux
diverses questions que vont poser les enquêteurs, pour autant qu’ils se
laissent même recenser. Le résultat final sera donc un mélange
d’approximations, d’omissions et d’informations fausses émises par
beaucoup des personnes interrogées, ceci pour ne pas révéler la réalité
de qui ils sont et de ce qu’ils possèdent.
L’enquête que j’ai menée auprès de
plusieurs amis et voisins, corrobore que les gens ne sont pas disposés à
confesser tout ce que le Bureau National de statistiques aimerait
savoir. Une amie qui a pu payer sa maison grâce aux revenus de la vente
illégale de vêtements m’a expliqué ce qu’elle allait faire : « Je vais
mettre dans la chambre la télé à écran plat et je dirai à mon fils qu’il
cache l’ordinateur portable » affirme-t-elle sans rougir. Avant
d’affirmer en suivant : « quand ils me demanderont de quoi nous vivons,
alors je leur dirai : des 420 pesos cubains mensuels (moins de 20
dollars) que gagne mon mari. ». « Et s’il leur prend de vérifier de
quelle est la marque de mon réfrigérateur, alors là je vais leur mentir
au visage et dire que c’est un Haier…, même si depuis le salon on peut
lire le logotype de LG ». Mais le plus dur pour elle sera de demander à
son frère, son épouse et sa petite fille d’essayer de ne pas être à la
maison ces jours-là pour qu’on ne les voie pas, parce qu’ils vivent à La
Havane sans papiers. Lorsque l’enquêteur sortira de chez elle il est
certain qu’il aura une idée du niveau et du style de vie de mon amie
rusée, très différente de la réalité. Et c’est précisément ce qu’elle
veut, qu’il pense que c’est rouge là où c’est vert, qu’il y a peu là où
il y a beaucoup, que c’est aujourd’hui alors qu’on est déjà demain.
Parce que depuis tout enfant, on lui a appris que dire la vérité revient
à se signaler, donner de l’information à l’Etat revient à
s’auto-inculper.
Traduit par Jean-Claude MAROUBY
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