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jeudi 20 septembre 2012

Survivre

La lumière est ténue, la chambre étroite et la rumeur de la rue Santo Suarez se faufile à travers les murs. Sur le lit se trouve une femme qui n’a plus que la peau et les os, les mains terriblement froides et la voix à peine audible. Martha Beatriz Roque s’est déclarée en grève de la faim il y a une semaine. Moi je suis arrivée à elle prise par la pression du quotidien et la vitesse de l’information ; mais son visage a le calme que donne le temps, l’expérience. Elle est là, aussi fragile qu’une fillette et si légère que je pourrais la prendre et la bercer en restant debout. Je suis surprise par la clarté, la façon catégorique avec laquelle elle m’explique pourquoi elle refuse de s’alimenter. Chaque mot qu’elle parvient à prononcer est d’une telle intensité qu’il ne semble pas sortir de ce corps diminué par le jeûne.


Je pensais que je n’aurais plus jamais besoin d’approcher le matelas d’un gréviste de la faim. Le faux optimisme selon lequel le futur ne peut être que meilleur, m’avait fait croire que Guillermo Farinas avec sa cage thoracique proéminente et sa bouche desséchée serait le dernier dissident qui ferait appel à l’inanition comme arme de demande citoyenne. Mais deux ans après ces 134 jours sans manger, je me retrouve devant les orbites profondes, et le teint jaunâtre de celui qui refuse de manger. Cette fois ils sont déjà 28 personnes dans tout le pays et le motif est à nouveau la vulnérabilité de l’individu face à une inégalité trop marquée par l’idéologie. Du fait de l’absence d’autres moyens pour s’adresser au gouvernement, les intestins vides s’érigent en méthode d’exigence et de rébellion. Il est triste que l’on nous ait seulement laissé la peau, les os et les parois de l’estomac pour nous faire entendre.
Avant de quitter la maison de Martha Beatriz, je lui ai donné le conseil suivant : « tu dois survivre, ce type de régime il faut leur survivre ». Et je suis sortie dans la rue, enveloppée de cette culpabilité et de cette responsabilité que chaque cubain devrait ressentir face à un événement d’une telle tristesse. « Survivre, survivre » ai-je continué de penser lorsque j’ai parlé avec la famille de Jorge Vasquez Chaviano qui devait être libéré le 9 septembre et dont les grévistes de la faim exigent la libération. « Survivre, survivre » me suis-je dit en voyant à la télévision le visage de ceux qui dans ce pays ont transformé le désaccord en délit et la protestation civile en une trahison. « Survivre, survivre, leur survivre » me suis-je promis. Mais il est peut-être déjà trop tard pour y parvenir.
Traduit par Jean-Claude MAROUBY

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