Sur la scène le chanteur entonne un de
ses vieux airs. Le public se presse, répète le refrain, s’agite dans un
délire. Cette semaine nous avons eu le plaisir d’assister à un de ces
nombreux festivals de musique « trouvère » qui s’est déroulé cette fois
dans la province de Santa Clara. Sur des thèmes qui vont du romantisme
aux questions sociales les plus délicates, l’événement nous a permis
d’écouter quelques nouveaux succès et d’autres compositions
archiconnues. Des créations musicales qui ont connu leur heure de gloire
dans les années soixante dix mais qui maintenant perdent du terrain au
profit de formes mélodiques plus commerciales et plus rythmées.
La
majorité des jeunes ne veut pas entendre parler de lettres de
dénonciation ni de chroniques quotidiennes, et préfère se détendre et
prendre du plaisir, abandonner la réalité le temps d’une soirée. Ils
vont en discothèque pour échapper à l’extérieur, pas pour se le
rappeler. C’est pourquoi ces airs très marqués d’idéologie, qui
évoquaient « l’homme nouveau » et la société où il vivrait, ont été
jetés dans la malle de l’oubli.
Malgré sa baisse de popularité des
dizaines de personnes travaillent encore la chanson « trouvère » à Cuba.
Ils chantent pour les gens qui préfèrent repenser le quotidien et ses
absurdités plutôt que de s’évader dans une autre dimension. Nous sommes
encore nombreux à nous émouvoir aux paroles de Silvio Rodriguez même si
un abîme nous sépare en matière d’opinions politiques, si un fossé
existe entre nos positions philosophiques. Car à l’heure d’organiser
notre bibliothèque musicale –ou littéraire- nous avons appris qu’il est
préférable de ne pas le faire sur la base de choix partisans… qui
conduiraient à la perte de nombreux auteurs.
Au-delà de la qualité de ses accords ou
de ses vers, une bonne partie du public du chant « trouvère » recherche
en lui sa capacité à évoquer les moments passés : le premier amour, une
danse très passionnée, les années difficiles, le jour du baiser
initiatique ou le concert où nous avons connu quelqu’un de très
particulier. On l’utilise comme révélateur des souvenirs à la manière
d’une madeleine de Proust qui nous pénètre par les oreilles au lieu de
nous parvenir par le palais. Quand l’auteur compositeur apparait avec sa
guitare à la main il réalise sur nous un acte de remémoration : il nous
ramène à cette époque où nous étions jeunes, et où la « Nueva Trova »
n’avait pas encore été décapée à l’acide de la réalité.
Traduit par Jean-Claude MAROUBY
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