L’homme s’approcha de lui en esquissant une sorte de sourire qui ne le rendit pas pour autant plus sympathique.
-Sabah al kheir, salam aleikoum Mr Macanek, labes..? Je suis content de pouvoir vous souhaiter la bienvenue dans notre pays. Etes vous bien installé.. ?
François avait beau connaître la prolixité des formules de politesse en Afrique du nord, il ne pouvait s’empêcher d’en être à chaque fois étonné.
-Très bien Mr Dayan, enchanté de faire votre connaissance, je vous remercie de votre visite à l’hôpital et m’excuse de n’avoir pu répondre à vos questions. Sachez que même si j’avais été en forme pour vous répondre je n’aurai pu vous apporter d’éléments susceptibles d’orienter votre enquête. Je ne m’explique toujours pas pourquoi ce véhicule m’a foncé dessus.
- Ne vous tracassez pas, l’enquête avance tout de même, d’autres faits nous permettent de cerner un peu plus la situation et d’entrevoir certaines explications. Mais revenons à vous Mr Macanek. Tout d’abord que diriez vous de gouter à un des excellents thé à la menthe servi dans cet établissement que nous appelons « le café de l’environnement ».
Tout en parlant Dayan fit signe au serveur et lui commanda les deux thés accompagnés d’une bouteille d’eau.
Il déplia son grand corps et se pencha vers François à le toucher
-Avez-vous eu l’occasion de vous rendre en Libye avant votre accident.. ? dit il d’un air mystérieux
Débiter ses humanités ne le dispensait pas de travailler, grattez sous le vernis vous découvrirez le chasseur pensa François.
-En Libye non, en direction de la Libye plus exactement, je me suis rendu à Ben Guerdane près de la frontière libyenne avec un ami voyagiste, il y existe un souk important.
- Mr Macanek, Ben Guerdane est une ville de contrebande, vous y trouverez de tout à des prix défiant toute concurrence. C’est la plaque tournante du négoce illégal dans le sud tunisien. Ben Guerdane, est sur la route de Tripoli, qu’êtes vous allé faire à cet endroit ?
- La curiosité Mr Dayan, la curiosité, j’ai voulu visiter ce caravansérail géant en plein air. Je dois dire qu’effectivement c’est impressionnant. Comment votre pays peut-il tolérer ce far-west à quelques centaines de kilomètres de la capitale ?
-La politique Mr Macanek, entre deux maux il faut choisir le moindre, savoir donner du mou pour conserver le cap. Nous sommes aussi un peuple de marins et d’explorateurs. Pourquoi Ben Guerdane Mr Macanek ?
Devant cette insistance François se sentit inconfortable, était ce la position du fauteuil gagné petit à petit par le rayonnement de l’ascension du soleil ou les questions répétitives de Dayan qu’il ressentait comme une intrusion malsaine de son libre arbitre bien occidental ?
-Je pourrai vous répondre que je ne suis qu’un touriste.
-Curieux touriste Mr Macanek, que celui qui revient s’installer après une absence de cinquante années dans le pays où il a vu le jour. Vous aviez emporté vos racines avec vous comme ce bonzaï. Résultat vous avez parcouru le monde à la recherche du sel de votre terre natale. On vous retrouve en Corse où vous êtes proche des mouvements autonomistes sans pour autant participer aux actions, en Colombie et en Equateur dans le but de réaliser un documentaire sur les FARC, puis à Cuba où la politique n’a pas été votre tasse de thé, dit il avec un sourire entendu. Spectateur des soubresauts du monde sans en être acteur, Cuba a été votre calvaire expiatoire Mr Macanek ?
-Vous pensez connaître beaucoup de moi Mr Dayan, jugez vous les gens aux visas figurant sur leurs passeports ?
François réalisa que la conversation prenait un tour agressif qu’il risquait de regretter par la suite. En braquant cet homme il compromettrait toute possibilité d’en savoir plus sur les raisons de son accident.
Ce fut alors que tout partit en live. Faire un saut périlleux arrière sans esquisser le moindre mouvement, sentir son flux de sang remonter à la tête, vous avouerez que ce n’est pas courant.
Pourtant c’est ce qu’il se passa, en fait ce fut la conjugaison du souffle violent de l’explosion et du plaquage manqué de Dayan qui projetèrent François cul par-dessus tête de l’autre côté de son fauteuil. Il retomba en même temps que des centaines d’étincelles multicolores poursuivaient sa canne en ascension à hauteur des plus basses branches des palmiers dattiers. Spectateur médusé, il vit des poteries passer à travers les vitres accompagnant l’écriteau « café de l’environnement », des gerbes de géraniums s’enflammer parmi les ramures d’araucarias.
Il était au spectacle, aux premières loges d’un merveilleux feu d’artifice. Ses oreilles bourdonnaient de sons moelleux qui lui parvenaient comme au ralenti.
A quelques mètres de lui le corps de Dayan était allongé sur le ventre dans le sable de la terrasse. Il le vit bouger, il n’y avait pas de sang. Autour, aucun cri, nous étions le lendemain de l’Aïd et ce matin la ville avait la gueule de bois.
Il lui revint en mémoire cet exercice idiot qui plaisait tant à son sergent instructeur pendant ses classes. Celui-ci faisait allonger en cercle le peloton et, au centre de la troupe, dégoupillait une grenade offensive qui explosait en projetant peu d’éclats. Le sergent disait que c’était pour aguerrir le soldat. Jusqu’au jour où il y eut un blessé, cette pratique disparut du bataillon en même temps que ce sergent.
Dayan le regardait hébété et son visage était plus pale
François rampa vers lui, ne sachant si le danger était toujours présent.
-Mr Macanek je souffre, j’ai reçu quelque chose à la poitrine, je ne peux me retourner c’est trop douloureux. Ecoutez, il faut que je vous dise : nous avons eu des informations sur la présence de citoyens libyens hostiles à notre mode de fonctionnement. Ils désirent mettre un terme à notre développement économique basé sur le tourisme en s’en prenant aux étrangers, dans un premier temps de façon anodine puis en durcissant leurs actions. Mr Macanek vous avez dû être un témoin gênant à Ben Guerdane, vous avez vu quelque chose ou quelqu’un que vous ne deviez pas voir. Ah, j’ai mal…Mr Macanek, mon père était juif, ma mère arabe, je suis contre la violence de ce monde, la vie est si belle Mr Macanek.
Cet homme avait besoin d’une aide urgente, François essaya de se lever pour appeler du monde, mais sans sa canne il n’y parvint pas. Il se mit à hurler pour alerter les personnes qui petit à petit envahissaient la place.
Lorsqu’il se tourna à nouveau vers Dayan, il vit un filet de sang couler de sa bouche et s’étaler sur le sable. Le liquide était bu instantanément par le sol avide. Une mouche assoiffée se posa sur ce nectar. François la chassa d’un geste de la main instinctif, ce sont souvent ces genres de gestes anodins et idiots qu’un homme accompli lorsqu’il ne peut dominer les événements. Il avait perdu un ami il y a quelques années lors d’une libération d’otages, la mort n’était pas une inconnue et il comprit que Dayan n’en avait pas pour longtemps.
Des infirmiers commencèrent à examiner l’homme , des trousses de soins, des médicaments, des brancards, une tente transformèrent les lieux en hôpital de campagne. Quelqu’un soutint François pour qu’il se mette sur pied après qu’il ait été visité rapidement par un médecin. On lui tendit sa canne. Il n’avait rien, juste une petite commotion, le geste de Dayan l’avait sauvé. Un policier s’approcha de lui et lui enjoint de le suivre.
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