La forme lui apparut progressivement, tout d'abord noire sur fond blanc, puis grise et enfin couleur chair.
D'instinct il sentit qu'il n'y avait aucun risque, elle n'en voulait pas à sa peau, au contraire, elle lui sembla douce dans sa lenteur. Elle allait et venait horizontalement au-dessus d'une surface ocre, et ce mouvement lui rappela celui d'un encensoir. Le même qui l'avait intrigué lors de la nuit de Noël à l'église Russe de Nice, agité lentement par les moines dans un brouillard ambiant.
Était il mort..? Certes non, puisqu'il pouvait voir, penser et sentir, enfin sentir, oui les odeurs car de son corps il n'avait aucune nouvelle.
---Vous êtes joueur Mr Macanek..???
En d'autres temps la question l'eût surpris, mais là il tentait de rassembler ses esprits, il se sentait émerger du néant bénéficiant d'un vocabulaire et capable de comprendre, cela lui paraissait si étrange qu'il ne s'interrogea pas. Il s'entendit répondre :
---Comment...?
---Parce que si ce n'est le cas vous avez beaucoup de chance sans le savoir, vous vous en tirez avec une fracture du tibia après trois semaines de coma. A votre place dès le retour en France je jouerai au Casino.
---Je ne me souviens de rien que s'est il passé..? Et où suis-je..?
---A la clinique de D...., entre les mains de bons médecins, ce qu'il s'est passé, justement nous comptions sur vous pour nous le dire. Etes vous suicidaire..? Dépressif..? Vous sentez vous de me répondre..?
---Franchement non. J'ai besoin de rassembler mes souvenirs, de me rappeler...
---Mr Macanek, prenez votre temps, voici ma carte, je suis Mohammed Dayan du Commissariat Principal, je repasserai vous voir...
François vit une ombre immense se dresser près de lui, il l'entendit heurter le lit dans lequel il était couché et disparaître tranquillement.
Le policier parti François éprouva le besoin de savoir comment son corps pouvait répondre aux sollicitations, et tout d’abord voir plus clairement. Il se frotta les yeux pour décoller ses paupières afin de pouvoir discerner les formes. Elles étaient collées par son long sommeil, il put constater petit à petit que la vue lui revenait. Il découvrit une table près de son lit et posée dessus une tasse de thé de couleur marron, celle que l’homme avait touillée pendant un long moment lors de son éveil.
Il avait du attendre longtemps qu’il reprenne connaissance et pourtant il ne s’était pas montré insistant, ce qui dénotait une certaine élégance.
Les paroles de Dayan lui revinrent en mémoire, une fracture du tibia avait il dit. Il passa en revue ses membres, les supérieurs lui obéissaient parfaitement, par contre pour ce qui était des inferieurs, il ne sentait rien.
Se pouvait il qu’ils aient été insensibilisés, anesthésiés. La peur d’une paralysie lui vint soudainement, il ne pouvait s’imaginer finir sa vie paralysé dans un fauteuil. Il se mit à trembler.
C’est à ce moment qu’une infirmière entra dans sa chambre. C’était une belle brune aux longs cheveux noirs frisés retombant sur les épaules, elle avait les traits fins typés bédouine.
Il réalisa en regardant la femme qu’il n’était pas cassé de partout et que son état n’était pas si désespéré qu’il le craignait. Il se décida à poser la question qui lui brulait les lèvres :
--- Dites moi, comment se fait il que je ne sente plus le bas de mon corps… ?
---C’est normal Mr Macanek vous êtes ankylosé, quelques séances à la piscine du centre et vous vous trouverez mieux. Vous revenez de loin, savez vous…
---Pouvez vous me dire comment je suis venu ici.. ?
--- Un voisin du lieu de l’accident a fait appel à l’unité de secours, on vous a retrouvé inconscient au milieu de la route. Pendant votre sommeil vous avez beaucoup parlé Mr Macanek, vous avez du beaucoup l’aimer.. . ?
--- De qui parlez-vous ?
---Mais de la femme que vous appeliez dans votre coma, vous n’avez pas dit son nom, elle semblait vous tourmenter énormément…Sans connaître une personne on peut mesurer l’étendue de ses souffrances, vos paroles ont fortement résonné en moi Mr Macanek, j’ai reconnu la douleur d’avoir perdu un être cher, la mort, la séparation c’était bouleversant. François regarda la jeune femme avec attention, le fait que cette personne inconnue ait eu connaissance de ses pensées intimes, dans un instant où il ne contrôlait rien, où il était sans défense, qu’il ait livré en public ce qu’il ressentait, le manque dont il souffrait le contrariait. C’était un homme réservé, avare de ses sentiments, ce viol involontaire l’agaçait.
---Je ne me souviens de rien, je ne sais pas de qui il s’agit, je suis fatigué pouvez vous me laisser… ?
---Bien sur, reposez vous , je repasse dans une heure. Visiblement la jeune femme regrettait ses paroles contraires à la retenue habituelle des gens de ce pays, peut être était elle allée trop loin. Elle évita de le regarder en s’adressant à lui et ajouta : si vous avez besoin d’aide appelez moi.
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